Photos: François Busson
Pourquoi aimez-vous particulièrement le homard?
C’est d’abord une histoire de goût. J’aime sa saveur salée et iodée. Cet été, je les ai simplement posés entiers, une fois tués, dans leur carapace, sur la plancha, avec une feuille d’aluminium au-dessus pour qu’ils cuisent avec leur eau à l’intérieur. Un petit peu d’eau aspergée de temps en temps pour faire sauna et c’est cuit en cinq ou dix minutes selon la grosseur de la bête. A déguster accompagné d’une petite vinaigrette aux herbes, zestes de citron et brunoise de tomate, avec le corail récupéré à mi-cuisson en fendant le homard en deux. Choisir un homard breton (le meilleur!) ou canadien, selon la saison, vivant. Congelé, ce n’est même pas la peine d’y penser…
Le chef Pascal Gauthier affectionne particulièrement le homard de Bretagne
Le repas qui vous a le plus marqué?
J’étais second chez Crisci au début des années 90 et j’ai accompagné un collègue à Monaco. Il m’a fait la surprise de réserver une table au Louis XV, chez Alain Ducasse. Tu arrives dans ce grand hall de l’Hôtel de Paris, tu ne vois pas l’entrée du restaurant car elle est dissimulée derrière deux magnifiques miroirs fumés. Derrière ces miroirs, tu découvres une salle immense avec des pots de fleur grands comme des jacuzzis et une moquette de 7 ou 8 centimètres d’épaisseur… C’était mon premier 3 étoiles Michelin et je ne touchais pas terre. J’ai découvert les grosses asperges vertes de Pertuis, la fameuse dentelle de parmesan. Et je ne parle pas du décor de table changé à mi-parcours avec les lumières qui s’estompent, le ballet des chariots et le serveur qui arrive en gants blancs pour ciseler les plantes fraîches dans une tisanière en vermeil.
Le plat dont vous êtes le plus fier?
Comme j’aime beaucoup les trompe-l’œil, je citerai mon «Illusion de tagliatelles». Il y a quelques années, certains chefs de cuisine se sont mis à proposer des pâtes en dessert. Ça n’a pas duré longtemps parce que des pâtes à la fin d’un repas, ce n’est pas léger, léger. Mais j’ai trouvé l’idée rigolote. Alors j’ai rebondi là-dessus et je suis parti sur du lait de coco, de la mangue à la place du jaune d’œuf, un coulis d’orange pour le goût et du sucre roux. J’ai collé tout cela à l’agar-agar, étalé en fine plaque et découpé en lanières. Une petite poêlée de framboises sautées avec de la verveine fraîche en guise de bolognaise, une boule de glace au yaourt en couronnement et le tour était joué. J’ai des clients qui reviennent chaque été pour faire découvrir ce dessert à leurs amis.
Le client qui vous a le plus ému?
Depuis vingt et un ans que je suis au Jorat et que je fais mon tour de tables après le service, j’ai vu deux clients verser leur petite larme aux tables 105 et 104. La première, c’était une mamie qui fêtait ses 90 ans et des brouettes et qui m’a déclaré, la larme à l’œil: «Moi, je n’ai jamais mangé comme ça, Monsieur.» La deuxième fois, c’était également une mamie, invitée par sa petite-fille, et qui n’avait jamais poussé les portes d’un GaultMillau. Je me rappelle aussi un papy du même âge qui mangeait avec sa femme. A l’époque, je m’amusais beaucoup avec le soja. La dame me complimente sur son dessert et je lui explique que c’est une glace au tofu. A ces mots, le papy qui mangeait une crêpe Suzette lui dit: «En tout cas, ta glace au tofu, ça ne vaut pas ma crêpe Suzette…» Je lui fais alors remarquer que les crêpes aussi sont à base de lait et de fleur de soja. Et la mamie de mettre la main sur l’épaule de son mari pour lui déclarer, triomphante: «Alors, tu vois, t’en as mangé finalement…»
Bio, végétarien, végane: intéressant ou consternant?
Aux tables du Jorat, il n’est pas rare de voir réunis des grands-parents omnivores, des enfants omnivores mais présentant des intolérances alimentaires et des petits-enfants véganes ou végétariens. Et tout le monde passe un moment formidable, en famille, sans se préoccuper ce qu’il y a dans l’assiette du voisin.
Le plat de votre enfance qui vous a laissé un souvenir impérissable?
Oh, des recettes de maman, comme la blanquette de veau à l’ancienne ou l’île flottante! Je sers d’ailleurs toujours cette dernière au restaurant, mais un tantinet revisitée. Mon île flottante aux trois chocolats accueille ainsi un sorbet au cacao amer dissimulé dans le blanc d’œuf, une crème anglaise sucrée au chocolat blanc et des copeaux de chocolat à la place des amandes effilées et du caramel.
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Ingrédients
Crème anglaise au chocolat blanc
4 jaunes d’œuf
250g de crème 35%
250g de lait
150g de chocolat blanc
Pas de sucre, car il y en a dans le chocolat blanc
Les iles flottantes
50g de sucre blanc
4 blancs d’œufs
Sorbet de cacao amer de bonne qualité.
Feuillantines de chocolat noir de chez votre pâtissier préféré.
Préparation
Crème anglaise au chocolat blanc
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Faire chauffer les liquides avec le chocolat blanc et le mélanger aux jaunes d’œufs
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Cuire à nappe
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Mettre au frigo deux heures
Les iles flottantes
- Monter les blancs en neige avec le sucre et former quatre grosses iles, les cuire à la vapeur à 86° pendant 6 minutes
- Mettre au frigo deux heures
Montage de l’assiette
- Prendre le blanc en neige, le creuser avec une cuillère y cacher une quenelle de sorbet cacao et le déposer dans une assiette creuse blanche
- Couler délicatement la crème anglaise autour
- Piquer les feuillantines de chocolat comme des statues